[Jacques Ferron à Julien Bigras, 9 juin 1981]
Cher Julien Bigras,
Je n'étais pas trop fâché de vous voir partir pour les pays lointains et je vous aurais permis, de vous rendre encore plus loin, jusqu'à la Chine: vous êtes ensorcelé et je vous crains. J'ai demandé à ma sur Marcelle ce qu'elle pensait de vous. Elle ne sait trop: vous n'êtes pas encore posé et elle ne peut deviner comment vous le deviendrez sans accident.
J'ai surtout eu l'impression d'un homme seul.
Seul, ma chère.? Dis plutôt d'un homme enfermé; j'ai bien eu le malheur d'entreprendre avec lui une correspondance comme j'en ai déjà eu quelques fois avec des types en prison des correspondances absolument insoutenables... Dieu merci! il est parti pour la Sicile.
En effet, cher Julien Bigras, tout devient avec vous sujet de malentendu: vous avez, par exemple, une aïeule du nom de l'Homme, je suppose qu'il pourrait s'agir d'une Miss Home, enlevée par les Sauvages, et tout aussitôt cela devient une réalité. Et puis, vous m'entraînez, moi qui ai soixante ans, à vous raconter l'histoire d'une petite souris ivre qui ne convient absolument pas à mon âge. De plus, vous me considérez comme un phénix alors que je ne suis qu'un médecin de rien du tout, besogneux et mal considéré (surtout depuis qu'on a appris que je faisais de la littérature).
[Julien Bigras à Jacques Ferron, 19 juin 1981]
Cher Jacques Ferron,
Je viens de recevoir votre lettre et, si je vou sécrit ce petit mot, ce nest pas par coquetterie mais pou vous remercier du plus profond du cur de mavoir aidé à débloquer le sujet le plus délicat et le plus difficile, la folie, celle dont jesuis moi-même porteur et victime.
Grâce à vous, Jacques Ferron, gra^ce à notre correspondance et à la lecture de vos livres et historiettes jai enfin pu mettre en forme une première version du livre que je suis en train décrire. Jai présenté le canevas à mon éditeur parisien, qui en fut emballé etqui ma même payé dinéterrants à-valoir en même temps que nous avons signé le contrat. Ce livre Ma vie et lafolie vous sra effectivment dédié.
Mais vous nesavez peut-être pas que j,ai besoi, pour mieux écrire un livre, dun destinataire précis avec qui je peux me laisser aller. Vous avez été ce destinataire, cet ami précieux et rare. Vous le demeurez, dans limaginaire.